La pause Simone : Pourquoi se branler est politique : Femme Actuelle Le MAG

La semaine dernière, je surprends une conversation dans le métro et il m’est très – très – difficile de ne pas intervenir. Une jeune femme confie à son amie : “Il faut vraiment que je me trouve un mec, ça fait longtemps que j’ai pas joui.“ Cette dernière, au lieu de lui rétorquer quelque chose comme “Pourquoi tu ne te fais pas jouir toi-même ?“, répond timidement : “Ouais, je comprends… C’est relou.“ Dans ma tête, ça défile. C’est relou ?! Ma sœur, ce qui est relou c’est de conditionner ton plaisir à la présence d’un homme dans ta vie ! Attendez les filles, vous descendez à quelle station ? Vous avez quel âge ? Il n’est jamais trop tard pour découvrir le pouvoir de la masturbation… Allons prendre un café ! Malheureusement, je garde la bouche fermée. Mais je n’ai pas arrêté d’y penser, d’autant plus que j’ai reçu deux livres passionnants sur le sujet : Oh My Gode d’Amandine Jonniaux, une “enquête vibrante sur les dessous des sextoys“, et Éloge de la masturbation – Pour une sexualité libre de Philippe Brenot, tous deux parus récemment aux éditions La Musardine. En 2024, vous avez peut-être l’impression – comme moi – que nous entendons beaucoup parler du désir, du plaisir féminins et du clitoris mais, comme l’écrit Philippe Brenot, “la masturbation reste le tabou le plus intime de la morale sexuelle occidentale“. Quand je fais la démarche de discuter avec (ou d’espionner) des personnes qui ne me ressemblent pas (c’est-à-dire qui ne sont pas des féministes revendiquées et des followers de la première heure du compte Jouissance Club), je m’aperçois systématiquement que nous sommes très loin d’être à égalité face à la masturbation. À égalité avec les hommes, bien sûr, mais aussi à égalité entre femmes.

Les chiffres le confirment. Selon une étude Harris Interactive de mai 2022 intitulée La Sexualité des Français*, “86% des hommes et 64% des femmes se sont au moins masturbés une fois dans leur vie“. Cela étant dit, “65% des hommes déclarent se toucher au moins une fois par mois ou plus, tandis que 61% des femmes disent se toucher moins d’une fois par mois ou jamais“. Aussi, la marque de sextoys Womanizer a publié sa quatrième enquête mondiale sur le sujet, révélant que l’écart hommes-femmes dans la pratique de la masturbation s’est creusé de 47 % en 2022 à 57,7 % en 2023. Autrement dit : les hommes se masturbent de plus en plus tandis que les femmes qui se masturbent restent constantes (et beaucoup moins nombreuses). Je vous le précise d’emblée : mon objectif n’est pas de faire de la masturbation une injonction, mais de mettre au jour le sexisme qui se cache derrière cette activité solitaire. “Dans les dictionnaires, on trouve à peu près 1500 termes pour parler du coït masculin, et environ 300 du côté féminin, m’explique le psychiatre et anthropologue Philippe Brenot. Cette dissymétrie a toujours existé.“ Depuis quelques années, j’ose dire “Je me branle“ / “Je me suis branlée“, une formulation que j’ai longtemps cru réservée aux hommes. Pourtant, une femme bande et un clitoris se branle. Alors oui,  “se branler“ est un terme familier, mais l’emploi fréquent du verbe “se caresser“ pour évoquer la masturbation féminine m’agace. Il relève encore et toujours d’une prétendue “douceur“ inhérente à mon genre, qui semble m’interdire l’accès à une sexualité plus sauvage. “Il n’est pas question d’en faire une compétition mais les représentations ne sont pas les mêmes dans l’esprit d’un homme et d’une femme, confirme Philippe Brenot. La masturbation masculine est d’une très grande facilité, il y a ce truc qui bouge et que le petit garçon va toucher, automatiquement. Il est très difficile de lui interdire. Pour les femmes, la découverte de cette région est beaucoup plus compliquée, et il est très facile de ‘casser’ la sexualité féminine, notamment en disant à une petite fille que se toucher est sale, honteux.“

C’est ici que nos affaires intimes deviennent politiques.“L’excitation s’apprend, s’entraîne, et c’est la répétition de ces entrainements – plus avec soi que dans un rapport sexuel – qui permet le développement de la fonction érotique de la région génitale, insiste Philippe Brenot. Cela peut être compliqué à comprendre et à transmettre, même dans une société assez libre comme la nôtre, mais si on ne s’est pas touché tôt, notre corps ne s’est pas organisé pour que cette région devienne excitable. Pour une femme qui a grandi dans un milieu restrictif et qui commence à découvrir sa sexualité à 30 ans, c’est très difficile !“ Alors, pourquoi je vous parle de politique ? D’abord, parce qu’il n’y a pas d’éducation à la sexualité digne de ce nom en France. Ensuite, parce que l’indépendance sexuelle des femmes a été et est encore perçue comme une menace pour de nombreux hommes. Enfin, parce que ces deux affirmations sont liées et que l’ignorance des femmes vis-à-vis de leur propre corps arrange bien le système patriarcal.

Dans l’indispensable Oh My Gode, la journaliste Amandine Jonniaux raconte notamment comment le développement des sextoys a accompagné les différentes vagues des mouvements féministes.“Un premier cap est franchi dans les années 1970 aux États-Unis avec les cercles féministes de Betty Dodson, une activiste connue pour ses one woman shows érotiques durant lesquels elle se met en scène avec un vibromasseur. L’idée ? Une femme doit être maitresse de son propre plaisir et n’est jamais mieux servie que par elle-même.“ Par elle-même peut-être, mais à l’aide d’un faux sexe masculin… ce qui est plutôt paradoxal ! J’interroge d’ailleurs l’autrice : les sextoys sont-ils réellement les outils de la libération sexuelle féminine ? “C’est ambivalent, me répond-elle. Le sextoy a longtemps été un objet patriarcal, phallocentré, on n’imaginait même pas une autre forme qu’un pénis en érection pour faire jouir une femme ! Donc il n’est pas intrinsèquement féministe, il véhicule encore énormément de diktats sexuels, d’injonctions à jouir beaucoup, fort, à tester plein de choses…  Mais il est devenu un objet d’émancipation féminine et féministe. En 1968, la “Magic Wand“ de Hitachi (un stimulateur clitoridien) a changé la donne en faisant jouir autrement – et même mieux ! – qu’avec la pénétration. Pour autant, ce n’était pas si ‘démocratisé’ que ça. Madame Tout-le-monde n’avait pas son sextoy chez elle. Et puis certaines féministes considéraient que le sextoy était un moyen d’assouvir encore plus la domination patriarcale, dans le sens où les femmes devraient continuer à gérer le plaisir des hommes, mais que ceux-là n’auraient même plus à s’occuper du plaisir des femmes, qui se géreraient elles-mêmes.“

Amandine Jonniaux rappelle le rôle clé de la pop culture dans la démocratisation du sextoy, notamment à travers l’exemple de la série Sex and the City qui popularise le “rabbit“ de la marque Vibratex dans les années 1990, ou de la créatrice de mode Sonia Rykiel qui transforme le “canard vibrant“ en icône de la mode en 2002. Mais pour les femmes de ma génération, c’est l’apparition du premier modèle de la marque Womanizer, en 2014, qui révolutionne tout. “Ça a permis la réhabilitation sociale du clitoris, commente l’autrice. Dans les années 2010, avec les réseaux sociaux, la parole sur la sexualité est devenue moins lisse, moins stéréotypée. Il n’est pas question de dire : tout le monde doit avoir un sextoy, une vie sexuelle hyper épanouie, originale, mais juste d’affirmer qu’on a le choix. On ne vous ordonne pas de vous masturber quatorze fois par jour, on veut juste que vous sachiez que ça existe.“ Pour cela, Amandine Jonniaux a créé une rubrique “Sextech“ au sein de son média, Le Journal du Geek, pour laquelle elle teste des sextoys. Quand je demande à la journaliste si, selon elle, la masturbation est politique, elle n’hésite pas : “En parler publiquement devient politique, très rapidement. Ça s’est démocratisé, oui, mais ça cristallise encore tellement de tensions. Je l’ai vu quand j’ai commencé à travailler dans la sexualité et à être attaquée. Je reçois des réactions hyper violentes, on sent que ça prend aux tripes les lecteurs, que c’est encore tabou. Quand je fais un test de sextoy pour clitoris : soit on me dit que je suis une salope, soit que je suis mal baisée, ou alors ça parle beaucoup de mes parents – “j’espère que sa mère n’est pas au courant“ -, ou “j’espère que son mari n’accepte pas ça“, “elle doit être célibataire“… Mais on fait aussi des tests pour les personnes à pénis et prostate. Les réactions ne sont pas du tout les mêmes. Il y a des critiques mais c’est moins viscéral. On va avoir “ça sert à rien de payer 100 balles alors que j’ai ma main“, “je vois pas l’intérêt“, c’est-à-dire plutôt des considérations pratiques, mais il n’y aura pas d’attaque envers la personne qui a écrit l’article.“ Malgré tout, Amandine Jonniaux constate “énormément de progrès“ depuis son premier article “sextech“. “Peut-être parce que la communauté de mon média a évolué“, admet-elle.

Ce qui n’évolue pas, ou en tout cas pas dans le bon sens, ce sont les prix ! Eh oui, les modèles de sextoys les plus plébiscités coûtent entre 100 et 200 euros. Je vous l’avoue ici : mon taf de journaliste m’a permis d’en recevoir plusieurs gratuitement, régulièrement, depuis dix ans. Sans cela, je ne pense pas que j’aurais pu m’offrir d’aussi chouettes modèles. Or, ce serait génial qu’un maximum de femmes puissent avoir accès à ces objets magiques afin de les aider à se réapproprier leur corps et leur plaisir. “Ne serait-ce que pour le post-partum, observe Amandine Jonniaux, et aussi pour la ménopause, le vaginisme, n’importe quelle affection qui touche la zone vulvaire ! Je suis d’accord, le sextoy est complètement un objet de luxe et les marques jouent là-dessus car cela permet aussi une acceptation sociale plus forte. Un stimulateur à 250 euros, c’est l’iPhone du sextoy, ça paraît moins ‘honteux’ qu’un rabbit à 20 balles…“ Pour une masturbation égalitaire, ce sont donc les préjugés sexistes et un peu de classisme que nous devons dégommer. Ça ne coûte rien d’essayer !

*Citée par Philippe Brenot dans son livre, page 112.

À lire absolument : Oh My Gode – Une enquête vibrante sur les dessous des sextoys d’Amandine Jonniaux (La Musardine) ; Éloge de la masturbation – Pour une sexualité librede Philippe Brenot (La Musardine) ; et pourquoi pas mon propre livre Hum Hum – Et si on parlait vraiment de sexe ? (Webedia Books).

Simone kiffe : les recommandations de Chloé Thibaud

Imaginez un pays qui s’appellerait Meuf Land… Il y aurait “la muraille des genres“, “la cité des loups“ (petit nom des harceleurs), “la forêt des trolls puants“, mais aussi “l’île de la sororité“… Ça vous dit de le visiter ? Rien de plus simple : il vous suffit de lire Meuf – Guide pour nos filles, une très belle bande dessinée signée Marie Dubois(aux éditions Le Lombard). L’autrice-illustratrice l’a pensée en observant sa fille de cinq ans, mais elle l’adresse (notamment) “aux binoclardes, aux planches à pain, aux flemmardes, aux intellos […] aux poilues, aux cassées, aux bornées, aux curieuses“, bref à toutes les meufs ! C’est un ouvrage précieux pour lutter contre le sexisme dès 10-12 ans, à offrir à celles que vous aimez, mais aussi à vos petits gars, qui ont tout autant besoin de s’instruire sur ces sujets-là.

“Quand on est grosse, l’immense majorité des consultations médicales commencent par le même rituel : ‘Bonjour, enlevez vos chaussures et montez sur la balance.’“ Aline Thomas est journaliste et elle vient de publier un livre important : “Montez d’abord sur la balance !“ – Se soigner malgré la grossophobie médicale (First éditions), illustré par la géniale Mathou.Que vous soyez concernée de près ou de loin par ce sujet, l’objectif de l’autrice (cofondatrice de La Grosse Asso) est de sensibiliser le public, les patients et les soignants à cette discrimination et à ses conséquences ravageuses, notamment l’évitement des soins de santé. Parce que de nombreuses personnes grosses “sont persuadées du fait qu’elles sont responsables de leur état et en ont honte“, “elles renoncent à se faire soigner ou à se faire dépister“ parce qu’elles redoutent d’être “infantilisées ou humiliées“. Cette honte doit impérativement changer de camp.

En France, en 2022, 93% des musiques de films sont composées par des hommes cisgenres. Arg, ce chiffre fait mal aux yeux et aux oreilles. Afin de visibiliser les compositrices de musique à l’image, le Lab Femmes de Cinéma et le Collectif Troisième Autrice sortent un nouveau podcast, Tous les genres de la musique de film. Le premier épisode est un portrait de la talentueuse Julie Roué, et il y en aura cinq autres, à paraître tout au long de l’année 2024. Un an après que la musicienne Irène Drésel est devenue la première femme à remporter le César de la meilleure bande originale (en cinquante ans de cérémonie !!!), ce projet est aussi “une manière d’alerter sur l’urgence d’œuvrer collectivement pour rendre les industries créatives en général, et la musique à l’image en particulier, plus inclusives“.

Vous aimez les mariages ? Moi non plus. Mais celui-ci n’est pas comme les autres, il s’agit d’un spectacle immersif. Le concept : vous poussez les portes du restaurant Tesoro d’Italia, à Paris, et une wedding planner vous installe pour fêter l’union de Viviane et Fernand. Autour de la table, certains convives sont des comédiens et vous comprenez vite que les choses ne vont pas vraiment se passer comme prévu sur le programme… Librement inspirée d’une pièce de Georges Feydeau (Un fil à la patte), Vive les mariés est une expérience complètement zinzin de Big Immersive Production où les moments de théâtre se mêlent à des sessions de danse typiques d’une vraie cérémonie (ouais, à  base de chenille et de Gilbert Montagné). Pendant 2h30, j’ai oublié où et qui j’étais et je me suis laissée porter par ce spectacle unique, à découvrir à plusieurs pour vraiment vous amuser (il reste cinq représentations jusqu’au 25 mai).

Le mot de la semaine

Fragrance

Pour vous, le parfum, c’est quelques gouttes et quelques secondes d’application chaque matin (sauf si vous faites partie des gens qui en mettent jusque derrière les genoux). Mais il y a, derrière chacune de ces gouttes, des années de travail et des dizaines de nez et de mains expertes qui collaborent pour créer les plus belles fragrances.

Dans sa web-série “L’Art Et La Science Du Parfum”, L’Oréal Groupe remonte à la source. De la récolte des ingrédients au design des flacons en passant par l’extraction des jus et la création des senteurs, les quatre épisodes vous embarquent dans les coulisses de la création des parfums du groupe. L’occasion d’aller faire un tour dans des champs de lavande, d’entrer dans des laboratoires secrets ou encore d’apprendre à utiliser l’adjectif “chypré” (qu’on a découvert comme vous à l’instant). Mais c’est aussi et surtout le moyen de découvrir l’incroyable niveau de minutie, d’exigence et d’innovation que requiert l’élaboration de chaque fragrance.

Et par ailleurs, sachez que près de 100% des parfums du Groupe L’Oréal sont fabriqués en France à partir d’ingrédients traçables. Bref, vous saviez que vous sentiez bon, mais maintenant vous saurez pourquoi.

(Collaboration commerciale avec L’Oréal Groupe / Crédits visuel : L’Oréal Groupe)

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