le patrimoine culturel et historique d’Odessa sous le feu de la Russie

Tout naturellement, Natalia Lavrova, guide touristique à Odessa, avait fixé rendez-vous devant la cathédrale de la Transfiguration : les promenades historiques commencent souvent à cet endroit dans la grande ville portuaire, dans le sud de l’Ukraine. Ce dimanche 23 juillet, Natalia Lavrova devait faire visiter la ville à une famille de la région, le cadeau d’anniversaire offert au fils aîné pour ses 16 ans. La guide s’en délectait d’avance : la saga de la Transfiguration, une des plus célèbres églises orthodoxes du pays, figure parmi les morceaux de bravoure de son circuit à Odessa.

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Démolie en 1936, comme la plupart des lieux de culte sous l’ère soviétique, la cathédrale avait été remplacée par un parc, des manèges pour enfants, mais aussi des toilettes publique ; une idée de Staline pour humilier les religieux. Au début des années 2000, le programme national de « reconstruction des monuments perdus de l’histoire » avait permis d’en rebâtir la réplique exacte, jusqu’au clocher, 72 mètres de haut, repère pour les marins en mer.

Aussitôt, la Transfiguration avait retrouvé sa place dans la tradition odessite, comme si elle n’avait jamais disparu. Mais, en ce matin de juillet, l’histoire a rattrapé la guide Natalia : un missile russe, tiré de la mer, a crevé le chœur de la cathédrale pendant la nuit. Chaque jour, c’est maintenant une foule en pleurs et en prière qui défile devant les décombres et les icônes brûlées, au milieu d’une poussière blanche soulevée par le vent en lourds tourbillons.

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Du 19 au 24 juillet, Odessa et sa région ont essuyé cinq nuits successives de bombardements, faisant deux morts et vingt-deux blessés, l’attaque la plus violente depuis le début de l’invasion russe. Désormais, les voitures diplomatiques n’en finissent pas de dévaler les rues de la vieille ville, croisant des organisations internationales, venues en pèlerinage : les destructions dans le centre historique focalisent tous les émois, d’autant que la Russie affirme n’avoir visé que des « cibles militaires ». Vingt-cinq bâtisses touchées étaient classées au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Travaux de restauration dans la cathédrale de la Transfiguration touchée par une frappe russe dans la nuit du 22 et 23 juillet, à Odessa (Ukraine), le 25 juillet 2023.

La misère a pris ses quartiers

« Je pensais qu’être répertorié nous servirait de bouclier », reconnaît Mykola Viknyansky, 46 ans, chef d’entreprise. Lui-même avait été un initiateur enthousiaste pour la candidature de sa ville à l’Unesco, présentée et acceptée au printemps 2022, dans la fureur des premiers combats. Comme chacun des habitants d’Odessa, Mykola Viknyansky a aujourd’hui sa théorie sur les raisons de l’acharnement russe contre le passé et les vieilles pierres. « Le Kremlin a échoué dans sa conquête de la ville. Alors il a décidé d’emporter dans le désastre ce qu’il estime être à lui, la cathédrale, les demeures historiques. C’est l’éternel retour de la folie russe et son antienne : si tu ne m’appartiens pas, disparais ! » Puis, d’un coup, l’entrepreneur se tait : en fait, il n’arrive toujours pas à réaliser que les destructions ont réellement eu lieu, reculant sans cesse le moment d’aller les voir de ses propres yeux.

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