un podium foot-rugby-cyclisme et de nombreuses disciplines dans l’ombre

Le 20 juillet débute la coupe du monde de football féminin, un des principaux rendez-vous de l’été sportif à la télévision, entre le Tour de France, les mondiaux de basket et de rugby, ceux de natation et d’athlétisme ou, moins en vue, les championnats du monde d’escrime et l’Euro de volley.

Si le sport est aussi plébiscité par les chaînes, c’est qu’il est l’un des rares genres télévisuels qui résiste à l’érosion des audiences. Mais il n’y a pas de place pour toutes les disciplines, et les compétitions sportives se retrouvent elles-mêmes en compétition.

A ce petit jeu, les sports les plus pratiqués ne sont pas les plus mis en majesté, révèle une analyse des Décodeurs.

Sommaire :

Le football, roi de la télé
Du rugby au cyclisme, prime au conservatisme
Du judo au ping-pong, ces sports populaires sous-exposés
Biathlon, football américain, pétanque… les surprises du PAF
Du padel au golf, prime au premium
Les sports mécaniques, spectacles sans pratiquants
Gym, twirling, patinage… Ces pratiques féminines occultées

Ecartons d’emblée le cas hors norme du football à la pratique, à l’exposition et à l’attention sans commune mesure. C’est simple, à part l’allocution présidentielle de déconfinement, aucun programme n’a jamais fait mieux que les 24 millions de téléspectateurs de la finale Argentine-France du 18 décembre 2022 au Qatar. « Si vous demandez à tous les patrons de chaîne, ils vous diront tous qu’ils veulent diffuser la finale de la Coupe du monde », confie Jérôme Saporito, directeur du pôle télévision de L’Equipe.

« Il n’y a pas d’autre genre où vous faites plus de 15 millions de téléspectateurs », abonde Frédéric de Vincelles, directeur de la programmation sportive de M6. Parmi ses nombreux atouts, une audience féminisée depuis la victoire des Bleus en 1998, qui attire les annonceurs ; un format d’une heure quarante-cinq commode à insérer dans une grille des programmes ; et, enfin, une capacité à attirer la jeune génération, réputée peu téléphage. D’où des tarifs élevés. Pour la Coupe du monde féminine 2023, malgré des matchs à des horaires décalés, France 2 et M6 ont déboursé environ 10 millions d’euros.

Mais à un tel montant le diffuseur n’est « presque jamais bénéficiaire », assure Frédéric de Vincelles. Les chaînes se payent grâce aux retombées directes (abonnements, publicités) et indirectes (augmentation de la moyenne des audiences annuelles, renégociation des tarifs publicitaires, rajeunissement de l’audience, autopromotion…). En 2016, la finale de l’Euro de football France-Portugal sur M6 attirait 21 millions de téléspectateurs, dont 5 millions suivraient le lendemain la série Quantico, dont la bande-annonce avait été diffusée à la mi-temps.

Du rugby au cyclisme, prime au conservatisme

Loin derrière, le rugby est le deuxième sport le plus exposé. Une finale de Coupe du monde avec le XV de France peut réunir 15 millions de téléspectateurs. « Mais en termes de ratio pratiquants-visibilité, il est clairement surreprésenté », remarque Marine Lallement, présidente de l’agence Fast Sport, qui publie chaque année un rapport sur les sports les plus diffusés. « C’est un sport qui a une image premium, joue de ses valeurs et a toujours été précurseur en termes d’exposition télé » grâce au Tournoi des six nations, continue Mme Lallement.

Bien aidé par son tempo alangui, le cyclisme arrive troisième. Une étape du Tour de France peut attirer jusqu’à 8 millions de téléspectateurs. Surtout, « il a une dimension patrimoniale, remarque Christophe Lepetit, responsable des études économiques au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges. C’est le tour de la France avant d’être le Tour de France, et cela tombe à un moment où les gens ont le temps ».

Le Monde

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Un phénomène similaire explique l’exposition de Roland-Garros, avec 6,5 millions de téléspectateurs sur la balle de match en 2023. « On s’est tous habitués à voir de la terre ocre à la télé fin mai, c’est dans nos veines », juge Jérôme Saporito. Football, rugby et cyclisme ont, en effet, en commun d’être des habitués de la petite lucarne, et des valeurs sûres pour les diffuseurs. Quitte, parfois, à invisibiliser d’autres sports pourtant très pratiqués.

Du judo au ping-pong, des sports populaires sous-exposés

Ils ont de nombreux pratiquants, mais leur temps d’antenne demeure marginal. « D’autres sports [que le football ou le rugby] pourraient être rentables mais on ne leur donne pas leur chance », regrette Natacha Lapeyroux, docteure de l’université Sorbonne-Nouvelle en sciences de l’information et de la communication. D’un côté, des chaînes plutôt frileuses. De l’autre, des fédérations qui peinent à rendre ces sports attractifs.

Les professionnels du petit écran nuancent : la popularité d’un sport ne suffit pas à le rendre télégénique. A l’image du judo qui, hors Jeux olympiques (JO), n’a jamais convaincu à l’antenne. « C’est plein de prises différentes aux noms japonisants, avec des différences peu évidentes, et même avec quatre ralentis on ne comprend pas toujours bien », regrette Jérôme Saporito. « Un match, cela peut durer douze secondes. En télé, ce n’est pas génial », enchérit Frédéric de Vincelles.

« Certains sports n’ont pas en eux les atouts pour séduire », tranche Arnaud Simon, ancien directeur d’Eurosport, aujourd’hui consultant. L’escrime doit composer avec des équipements froids et impersonnels, le tennis de table et le badminton avec des échanges supersoniques, etc.

Si certaines disciplines sont par nature conservatrices, d’autres essaient néanmoins d’innover. L’escrime développe ainsi le sabre laser, plus pop et télégénique. Quant au tennis de table, en pleine modernisation de son image, il espère surfer sur l’explosion médiatique des frères Félix et Alexis Lebrun, prodiges de 16 ans et 19 ans. Ils apportent « du storytelling, un coup de boost ! », s’enthousiasme M. Saporito.

Au plus fort de la finale, La chaîne L’Equipe n’est pas loin d’avoir atteint les 500 000 spectateurs qu’elle espérait, lors de la victoire de Félix Lebrun aux Jeux européens, à la fin de juin. Le début d’un renouveau ? « A un an des JO à Paris, il y a un alignement des planètes », veut croire Gilles Erb, président de la Fédération française de tennis de table.

D’autres sports inattendus ont bien réussi à percer. Une paire de skis, une carabine, et un champion du monde français : c’est la recette du « conte de fées » du biathlon, comme l’appelle Arnaud Simon. Eurosport fut l’une des premières chaînes à flairer le coup dans les années 2000. « On n’avait pas les moyens d’acheter la Ligue 1, il fallait être créatif et aller chercher les disciplines peu vues, pas encore très chères, avec une force d’audience », se souvient-il.

Le biathlon fait depuis les beaux jours de La chaîne L’Equipe, avec 700 000 téléspectateurs en moyenne en 2021. Au regard de ses moins de 1 000 licenciés, il est le sport de télé par excellence. « Cela reste un spectacle, on doit pouvoir comprendre les enjeux de manière simple », démystifie Jérôme Saporito. « Le biathlon, on part tous d’une ligne, c’est simple ; à la carabine il y a une cible, c’est très visuel. »

Le sens du spectacle, c’est aussi ce qui explique la surexposition du football américain. C’est un sport « très télévisuel, très bien filmé, hyperénergique et moderne », argue Olivier Moret, directeur technique national de la Fédération française de football américain, « une production ultraqualitative », confirme Jérôme Saporito, dont la chaîne diffuse 17 matchs de saison régulière. Il profite de l’aura du Super Bowl, 380 000 téléspectateurs de nuit, en pic, en France, en 2023.

Mais il est également possible de briller à peu de frais, sans étoiles. La pétanque, malgré un rythme très provençal, cumule près de cent heures d’exposition. « Ce n’est pas très cher à diffuser », estime Marine Lallement – certaines fédérations, comme celle de pelote basque, offrent même les droits d’image contre de la visibilité. La pétanque est pourtant capable de réunir 490 000 téléspectateurs au cumul pour son tournoi phare. Son secret ? Un aspect très « franchouillard », assume Jérôme Saporito, dans la pratique comme dans le palmarès. Idéal pour une chaîne gratuite.

Du padel au golf, prime au premium

Dans le cas des chaînes à péage, le nombre de pratiquants d’un sport importe moins que son standing. Et pour cause : elles visent une clientèle plus aisée, susceptible de dépenser chaque mois de dix à quarante euros pour du loisir. Exemple plus récent, le padel, devenu « le sport à la mode », relève Marine Lallement. Cette jeune variante mexicaine du tennis a rejoint la grille de Canal+, fort d’un réservoir de pratiquants estimé à 366 000 personnes, en plein boom. « C’est un sport d’urbain, plutôt CSP+, les chaînes y sont sensibles. Pour Canal, c’est un réservoir à abonnés », confirme Mme Lallemant.

Il s’ajoute à d’autres sports réputés réservés aux gens aisés, voire bourgeois. « L’équitation, c’est typiquement le genre de sport qui déclenche l’abonnement auprès des fans », relève Christophe Lepetit. De même, le golf a été autant diffusé que la pétanque, mais étant un sport réputé « de riche », il ne l’a été que sur des chaînes payantes. Idem pour le tennis, hors Roland-Garros.

Autre problématique commune à Canal+, BeIN Sports et consorts : le besoin de s’inscrire dans la durée plutôt que dans des événements ponctuels, d’où leur appétence pour les longs championnats. « Ce sont des produits d’appel, pour lesquels on cherche un aspect feuilleton » pour éviter les désabonnements, explique Christope Lepetit.

Les sports mécaniques, spectacles sans pratiquant

Parfois, exposition télévisuelle et pratique réelle sont complètement décorrélées. « Certains sports sont quasi exclusivement des spectacles, comme la formule 1 [F1] ; d’autres quasi exclusivement des pratiques, comme la randonnée », relève Sabine Chavinier-Rela, sociologue du sport au CDES. Ainsi, les sports mécaniques remplissent les grilles de programmes malgré un nombre de licenciés quasi nul.

Les raisons sont pragmatiques. La F1 est un spectacle en vogue : son audience, de 1,21 million de téléspectateurs en moyenne en 2021, a doublé en sept ans, portée par le succès de la série documentaire Formula 1. Pilotes de leur destin, sur Netflix. « L’effet a été énorme, c’est tombé pendant le confinement, les audiences ont été très rajeunies et féminisées », analyse Christophe Lepetit.

Les sports automobiles auraient pourtant pu paraître hors du temps. « Le succès de la F1 va à contre-courant de tout en termes d’écologie », admet Jérôme Saporito. Mais les organisateurs en jouent. Ainsi de la jeune formule E, vitrine des voitures électroniques ; ou encore de l’Extreme E, rallye mixte de SUV à travers des terres bouleversées par le changement climatique, diffusé par le groupe M6. « Il y a une dimension écoresponsable qui nous a semblé intéressante », témoigne Frédéric de Vincelles.

Gym, twirling, patinage, des pratiques féminines occultées

Enfin, dernier constat : la progression du sport féminin est en trompe-l’œil. Certes, le football et le rugby se sont développés, comme le montre la Coupe du monde féminine de football. « Cela ne coûte pas très cher en droit de diffusion par rapport aux hommes, avec de vrais retours sur investissement », recontextualise Natacha Lapeyroux. « Quand il y a le pendant féminin d’une diffusion, désormais on la diffuse », s’engage Jérôme Saporito, exemple du Tour de France féminin à l’appui. Mais dans le même temps, les disciplines à la pratique historiquement féminine se sont faites marginales sur les chaînes.

La gymnastique se contente ainsi de miettes, le twirling n’a jamais été diffusé en 2022 et le patinage artistique ne doit son exposition qu’aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Ils paient un creux en termes de performances françaises, des formats de compétition qui se sont peu modernisés, ou encore un manque de rendez-vous phares, hors JO. « Aujourd’hui ces images sont souvent perdues en fond de grille, on a l’impression de ne plus les voir », admet Christophe Lepetit. Rejoignant ainsi les sports oubliés de la télé.

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