Dans le Loiret, l’auberge du partage

Telle une oasis au milieu du désert, le petit village se dresse sur un monticule verdoyant, dernier éperon rocheux face à la plaine de la Beauce. Autour, à perte de vue, de vastes champs dénudés. Nous sommes au pays de l’agriculture intensive et de la monoculture. Mais, à l’instant où l’on passe le panneau Yèvre-le-Châtel, le charme saisit. Les petites rues débordent de fleurs, les maisons aux vieux murs de calcaire envoûtent le regard sous leurs manteaux de glycine, on aperçoit de ravissants jardins et de somptueuses architectures. Vite, on gare sa voiture et l’on sort musarder à pied.

Classé parmi les « plus beaux villages de France », Yèvre-le-Châtel, 230 habitants, a également obtenu, en 2022, le rare label Jardin remarquable, réservé d’habitude aux parcs et jardins d’exception. Site chargé d’histoire, il attire chaque année près de 100 000 visiteurs ainsi que divers artistes et écrivains – Victor Hugo, déjà, était familier du lieu.

Depuis ­l’Antiquité, le village a une position géographique-clé, surplombant la voie romaine qui relie Sens (Agedincum) au Mans (Vindunum), mais aussi Orléans, Montargis et Paris. Doté de deux églises, dont une inachevée, façon mausolée à ciel ouvert, tapissée d’herbe, Yèvre-le-Châtel abrite ­également une forteresse médiévale, une célèbre roseraie et des parcours d’art contemporain dressés dans l’espace public.

Retour à la terre

C’est au centre – et sommet – de ce village perché qu’Anne-Claire Héraud a décidé de faire auberge. Il y a deux ans, la talentueuse photographe autodidacte (dont les clichés ont illustré plusieurs articles du Monde) a emménagé là avec son compagnon, Simon Ronceray. Lui s’était installé quatre ans plus tôt en maraîchage bio sur les terres familiales, Les Trois Parcelles, à Yèvre-la-Ville, à 1 kilomètre de là. Fils d’agriculteurs ­céréaliers, ingénieur agronome de formation, Simon Ronceray a choisi de faire les choses autrement, en défendant des principes ­agroécologiques au pays de l’agriculture conventionnelle, fort de ses convictions rebelles et solidaires.

Lire le témoignage d’Anne-Claire Héraud : « Je suis devenue “photoreporter engagée”, car je ne me voyais pas faire ce métier autrement »

C’était le partenaire idéal pour Anne-Claire Héraud, qui, depuis longtemps, aspirait à un retour à la terre. Il y a dix ans déjà, elle s’imaginait dans un lieu partagé, nourricier, joyeux, où l’assiette, la nature et l’art dialogueraient, où les amis se retrouveraient. Elle rêvait de moulins en Bretagne, de fermes en Auvergne, de longères en Normandie, voire de hameaux à réhabiliter à plusieurs. Elle scrutait les annonces immobilières et tentait de trouver des personnes prêtes à partager sa folle idée. En vain. Jusqu’au jour où, il y a trois ans, elle rencontre Simon Ronceray.

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